Le principe « mater semper certa est », qui signifie que la mère est toujours certaine, est un pilier du système juridique suisse et implique que la gestation pour autrui (GPA) est illégale en Suisse (art. 119 al. 2 let. d Cst. féd.). Contrairement à la Suisse, certains pays autorisent la GPA, ce qui a entraîné une forme de tourisme de maternité de substitution. Toutefois, lorsqu’un couple a recours à la GPA dans un pays étranger et ramène l’enfant en Suisse, cela peut poser des problèmes juridiques pour établir les liens de filiation entre les parents d’intention et l’enfant.
Les avancées en matière de jurisprudence suisse
Le Tribunal fédéral a rendu deux arrêts récents sur la question de la GPA, dont le premier (TF, 4A_545/2020) du 7 février 2022. Cette affaire concerne un couple marié de parents d’intention, composé d’un père et d’une mère, qui ont eu recours à une mère porteuse en Géorgie pour une GPA. Les jumeaux nés de cette procédure sont les enfants génétiques des deux parents d’intention.
Une fois la GPA réalisée en Géorgie, les parents d’intention ont constaté que les liens de filiation n’avaient été établis que par un acte de naissance, sans décision administrative ou judiciaire. Cependant, lorsqu’ils sont retournés en Suisse, ils ont constaté que le père d’intention était inscrit en tant que père juridique, tandis que la mère porteuse était inscrite en tant que mère juridique dans le registre de l’état civil suisse.
Le Tribunal fédéral a expliqué dans sa décision que l’acte de naissance géorgien ne faisait que constater l’existence d’un lien de filiation établi par la loi, et ne constituait pas une décision étrangère pouvant être reconnue en Suisse. Par conséquent, n’ayant pas de décision étrangère reconnue en Suisse, le Tribunal fédéral a examiné la question de la filiation sous l’angle du droit applicable. À cet égard, il a considéré que, étant donné que les jumeaux vivaient en Suisse et y avaient leur résidence habituelle, le droit suisse était applicable. Ainsi, il a déclaré que la mère juridique était la mère d’intention, car la GPA est interdite en Suisse, et que le père juridique était le père d’intention, car il était le père génétique des jumeaux.
Le Tribunal fédéral a opté pour une analyse de la filiation en vertu du droit suisse et a conclu que le principe « mater semper certa est » devait être appliqué. Par conséquent, la mère porteuse devait être considérée comme la mère juridique des jumeaux. Toutefois, le père d’intention était déjà inscrit comme le père juridique dans le registre de l’état civil suisse. Le Tribunal fédéral a précisé que la mère d’intention pouvait établir un lien de filiation avec les jumeaux en recourant à une procédure d’adoption.
Le Tribunal fédéral a examiné un cas similaire dans une deuxième décision datant du 1er juillet 2022 (TF, 5A_32/2021). Dans cette affaire, seul le père était le parent biologique de l’enfant né d’une GPA en Géorgie. Le Tribunal a examiné la question de savoir si le contrat de maternité de substitution pouvait constituer une reconnaissance valable de l’enfant par le père. Il a conclu que la reconnaissance ne pouvait être faite qu’avant la conception de l’enfant, ce qui signifie que le contrat de maternité de substitution ne pouvait pas servir de reconnaissance de l’enfant par le père. Aucun lien de filiation paternelle n’était donc établi. Le père devait alors procéder à la reconnaissance de l’enfant, ce qui permettrait ensuite à la mère d’intention d’entamer la procédure d’adoption de l’enfant de son conjoint.
Les problématiques et enjeux découlant de la GPA
Il est difficile pour les parents d’intention de prévoir les problèmes potentiels lorsqu’ils ramènent leur enfant né à l’étranger d’une mère porteuse en Suisse, car le cadre juridique actuel pour établir les liens de filiation juridiques des enfants nés de GPA repose sur différents critères tels que la nature de l’acte délivré par le pays où la gestation pour autrui a été réalisée, l’existence de liens génétiques entre les parents d’intention et l’enfant, le statut matrimonial de la mère porteuse, etc.
Le Tribunal fédéral, dans sa décision du 7 février 2022, a souligné la nécessité pour le législateur suisse de mettre en place une procédure simplifiée pour l’adoption dans les cas de GPA. En l’absence d’une telle évolution législative, les autorités chargées de l’application du droit doivent tenir compte des défis juridiques posés par la GPA pour garantir les droits fondamentaux de l’enfant, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme.
En somme, la loi et la jurisprudence devront s’adapter aux réalités de la société actuelle. Cependant, pour l’instant, les parents d’intention font face à de nombreuses incertitudes et difficultés juridiques pour faire reconnaître leur paternité ou maternité en Suisse.